Tuesday, December 05, 2006

Des médicaments comme pouvoir économique

Les entreprises commerciales sont prêtes à tout pour accroître leurs chiffres d’affaires ! Les moyens non-éthiques incluent de faire pression sur les gouvernements des pays pauvres, y compris en matière de santé. La voie royale consiste à conclure avec eux des accords bilatéraux et régionaux de libre-échange.

Le terme ‘libre’ dans ce contexte, de même que dans l’expression ‘libre marché’, perd son sens en réalité. Pour preuve les mesures de protection (tarifs et quotas à l’importation, subsides…) appliquées par les pays riches, particulièrement les USA et l’UE. La pratique deux poids deux mesures implique que ceux qui érigent des barrières protectrices exigent des autres qu’ils libéralisent.

Par exemple, les USA tentent d’imposer des règles « ADPIC plus » dans tous leurs accords conclus avec d’autres pays, par exemple la Colombie, le Pérou et la Thaïlande. C’est-à-dire qu’ils veulent dépasser l’Accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Or, Geoff Tansey, écrivain britannique et expert conseil sur les questions alimentaires et les droits de propriété intellectuelle, soulignait en 2001 que 'plusieurs pays en développement n'accepteront pas sans réticence certains aspects de l'accord en vigueur, créé essentiellement par les pays industrialisés'. (http://www.idrc.ca/fr/ev-5409-201-1-DO_TOPIC.html)

De même, les Accords de Partenariat Economique (APE), que l’UE et les pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique sont en train de négocier, contiennent des dispositions appelées « OMC plus ». Sous prétexte de rendre les accords compatibles avec les règles de l’OMC, « l’UE veut que les négociations sur les secteurs liés au commerce aillent au-delà des engagements pris devant l'OMC » (http://agritrade.cta.int/fr/content/view/full/2493). Les organisations paysannes du Burkina Faso, notamment, craignent pour la sécurité agricole et revendiquent la souveraineté alimentaire (http://www.abcburkina.net/souv_aliment/index.htm). Voir aussi la publication de décembre du Monde Diplomatique, notamment l'article 'Plutôt que le protectionnisme, la souveraineté alimentaire' : http://www.monde-diplomatique.fr/2005/12/BERTHELOT/13036.

Bien sûr, les pays en voie de développement (PVD) manquent des capacités pour négocier efficacement à l’OMC. Toutefois, Dipak Patel, Ministre zambien du Commerce et de l’Industrie et Président du Groupe des Pays Moins Avancés de l’OMC, met en garde : « S’en aller et détruire l’OMC ne serait pas dans notre intérêt, parce qu’alors les pays vont entrer dans des accords bilatéraux et notre capacité et autorité de négociation et pouvoir sur une base bilatérale est extrêmement faible, politiquement et économiquement. Nous devons nous engager dans l’OMC… mais pas à n’importe quel prix. » (‘I’m staying at the table… for now’ in developments, Numéro 33, premier trimestre 2006, p. 27).

L’économiste et prix Nobel américain Joseph Stiglitz s’est entretenu avec l’Humanité à la sortie de son livre ‘Un autre monde. Contre le fanatisme du marché’ (2006) : « S’ils reconnaissent, depuis les négociations de l’OMC en 2001 à Doha, que les cycles commerciaux précédents ont nui au développement, les cycles suivants ont toutefois été des échecs. Le commerce international doit changer d’orientation car il est injuste et ne fonctionne pas. » (http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-09-22/2006-09-22-837151)

Marchander la santé

Car depuis l'échec du round des négociations de Doha, les pays riches semblent friands d'accords bi- ou plurilatéraux en dehors de la structure multilatérale. En ce qui concerne l’état mondial de la santé publique post-Doha, le rapport d’Oxfam ‘Des brevets contre des patients: Cinq ans après la Déclaration de Doha’ éclaire la situation de l’accès aux médicaments dans les PVD : Il y a cinq ans, les membres de l’OMC signaient un accord ministériel visant à faire en sorte que les règles relatives à la propriété intellectuelle n’entravent plus les efforts des pays en développement en matière de protection de la santé publique. Depuis, cependant, peu de choses ont changé. Le prix des médicaments brevetés reste inabordable pour les populations des pays les plus pauvres. Les règles commerciales entravent toujours considérablement l’accès aux versions moins coûteuses des médicaments brevetés (les médicaments génériques).’
(http://www.oxfam.org/fr/policy/briefingpapers/bp95_patentsvspatients_061114).

Le capitalisme se pratique, dans de nombreux cas, comme une course effrénée entre le plus rapide et le plus lent. Compétition inégale selon Tansey puisque « C'est comme si le Manchester United [fameux club de soccer britannique] jouaient contre une équipe qui compte quelques bons joueurs et d'autres qui n'ont jamais mis les pieds sur un terrain de soccer. ».

Ceux qui sont aux commandes nourrissent des intérêts – pas mêmes patriotiques mais – égoïstes et lucratifs, et se moquent de l’interdépendance dans les enjeux mondiaux (y compris environnementaux). Ils agissent comme un rempart au progrès général en s’alimentant de résultats volatiles, à court-terme, menaçant la durabilité des opérations dans des domaines variés.

Stiglitz réprouve telle attitude et rectifie : « (…) [P]our qu’une discipline soit bonne, elle doit s’inquiéter de la croissance à long terme et non de ceux qui ne pensent qu’aux vingt-quatre prochaines heures. C’est en fait une critique de la libéralisation des marchés financiers. »

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